Monseigneur,
Je
sais d'avance que ma missive va vous faire froncer les sourcils. Tant
pis ! Même si celle-ci risque de valser à la poubelle, au
moins aurai-je eu le sentiment d'avoir fait mon devoir. Pourquoi vous
écrire ? Parce que je vois que votre bateau coule, qu'il prend
l'eau de toutes parts et que vous ne semblez pas vous en apercevoir.
Regardons les choses en face : votre Eglise ne va pas bien, pas
bien du tout ! Il y a une trentaine d'années, 35 % de
pratiquants. Aujourd'hui : à peine 5 %. Et demain ?
Oui, demain, quand il n'y aura plus toutes ces têtes blanches qui
s'obstinent à franchir le seuil de vos édifices ?... Vous ne
trouvez pas qu'il y a péril en la demeure ?... Bon, ça c'était
le hors- d'oeuvre. Maintenant, le plat de résistance. J'espère que
vous avez faim, car il sera assez copieux. Garçon, une bouteille de
vin, une !...
Que
se passe-t-il, Monseigneur ?...Eh bien, je vais vous le dire. Il
se passe que depuis 50 ans, votre Eglise n'a cessé de courir
derrière le monde, de s'agenouiller devant des mots comme
relativisme, symbolisme, humanisme, syncrétisme, oecuménisme,
modernisme... et que depuis cette période, les citoyens font
demi-tour. Les résultats sont là, implacables : votre
discours n'intéresse plus. Pourquoi ? Parce qu'à peu de choses
près, il est devenu le même que celui que tout homme qui se
respecte tient aussi. Pas la peine d'assister à des offices pour
entendre parler de tolérance, d'égalité, de liberté et de
fraternité. De cela, la société se charge déjà. Vous me
suivez ?... Bon !... Cela dit, excusez-moi, je ne me suis
même pas présenté. Il se fait que je suis directeur d'une
entreprise qui produit des yaourts. Comment va mon entreprise ?
Très bien, merci ! Seulement, voyez-vous, je crois que je n'ai
pas du tout la même politique que la vôtre. Par exemple : si
demain un de mes représentants se permet de clamer partout que mon
yaourt n'est pas bon, qu'il vaut mieux acheter une autre marque, je
le vire illico ! Pas vous ? Non, pas vous ! Vous, vous
gardez les clercs qui dérapent, ceux qui se fichent des dogmes et de
la liturgie. Ah, je comprends ! « Charité »
oblige ! Nouvelle erreur ! Admettons que je constate qu'un
de mes ouvriers met du poison dans mon yaourt, je dois le laisser
faire ? Je dois le laisser rendre malades des milliers de gens ?
Pareil pour vous, Excellence ! Au nom de quelle « charité »
laissez-vous des clercs empoisonner le peuple chrétien ? Quel
crime doivent-ils commettre pour que vous leviez enfin le petit
doigt ?
Je
sais ce que vous allez me dire. « Si je dois virer tous les
curés qui déraillent, il ne m'en restera plus qu'une poignée ! »...
Et alors ?... Dans un pré, mieux vaut avoir dix brebis plutôt
qu'une centaine accompagnée d'une meute de loups, non ?... Ca
va votre estomac, vous digérez bien ? Continuons. Il va arriver
un jour où vous allez devoir vous justifier ; où Quelqu'un
dans les cieux va vous demander : « Qu'as-tu fait de la
mission que je t'avais confiée ? As-tu, comme les apôtres,
annoncé le kérygme au péril de ta vie ? As-tu protégé
la foi contre les hérésies ? As-tu cherché à Me plaire
quitte à déplaire au monde ? As-tu secouru ceux qui doutent ;
ceux qui, à cause d'abbés ambigus, ne savaient plus que j'ai
accompli des miracles, que je suis mort et ressuscité pour leur
salut, ni même que j'existe ? Oui, ai-je pu compter sur toi
pour proclamer haut et clair que je SUIS LA Vérité et pas une
vérité parmi d'autres ? Maintenant, réponds-moi !... »
Fini
le plat de résistance. A présent le dessert. Non ! Pas de
dessert ! Du fromage ! Piquant si possible ! Oui, une
toute dernière chose. Jusqu'à présent, Monseigneur, j'ai supposé
que vous êtes catholique. Je l'ai supposé !...
Jean-Pierre
Snyers