lundi 20 mai 2013

Un « christianisme » à la dérive


On nous trompe sur l'essentiel. Depuis une cinquantaine d'années, le discours chrétien a basculé. Durant près de deux millénaires, on a cru que le sens de la vie sur terre consistait à se préparer à entrer dans l'éternité. Tous les Pères de l'Eglise, tous les saints et tous les écrivains chrétiens insistaient sur cette réalité. Rien n'était plus important pour eux que le salut éternel de leurs semblables.

Sur un signet distribué à la fin d'une mission prêchée par les Pères rédemptoristes en 1947 dans un village du luxembourg belge, on lit: « J'ai compris les vérités éternelles: j'ai un Dieu à servir, une âme à sauver, un enfer à éviter ». Il y a 50 ans encore, le regard du chrétien était dirigé vers l'au-delà. A aucun prix, il ne fallait prendre le risque de se perdre. Fidèles à la Parole du Seigneur « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas sera condamné » (Marc, 16, 16), nos prêtres avaient l'ardeur missionnaire, la soif de convertir les âmes éloignées du vrai Dieu.
Qu'en reste-t-il aujourd'hui? Très rares sont les chrétiens qui pensent encore à leur salut éternel. Pire: on leur a fait comprendre que là n'est pas la question; que le royaume de Dieu est à construire sur cette terre et qu'il convient de travailler à son avènement. Silence sur les « fins dernières », motus et bouche cousue sur le Paradis, l'enfer et le purgatoire! Plus un mot sur l'éternité qui nous attend au-delà de cette vie!

Que s'est-il passé? L'Evangile aurait-il changé? Point du tout! Il se fait simplement que nous ne retenons plus de l'Ecriture que ce qui nous arrange. Bafouant la plus élémentaire honnêteté intellectuelle, nous n'hésitons plus à gommer, à occulter et à tordre le sens des versets qui nous déplaisent. En somme, la conformité avec l'esprit du monde nous apparaît comme un critère de vérité. Par définition, ce qui est moderne est vrai. Tri sélectif oblige, la foi chrétienne est réduite à ce que nous jugeons digne d'être accepté, jaugée à la lumière de nos manques de foi. Il est à noter que ce « brigandage » de la Parole de Dieu est toujours à sens unique. Personne ne songe à mettre en doute le Sermon sur la montagne ou le récit de la femme adultère. Par contre, lorsque le même Seigneur nous met en garde contre le démon, contre le risque de la damnation éternelle et contre le monde, étrangement, nous fermons les yeux. Mystérieusement, son langage est jugé dépassé, « religieusement incorrect », « bon à jeter aux oubliettes ».
Les conséquences de cet aplatissement devant le monde sont désastreuses. Là où il y avait la certitude, il y a le doute, là où il y avait la radicalité, il y a la mièvrerie, là où il y avait l'espérance de l'éternité, il n'y a plus que celle de l'ici-bas.
Ne tournons pas autour du pot: le « christianisme » qu'on nous présente aujourd'hui n'a plus grand chose à voir avec celui des apôtres. Il s'agit ni plus, ni moins, d'un autre Christ qui est proposé dans la catéchèse actuelle.

Il est vrai que saint Paul nous avait prévenus: « Il arrivera un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine; mais ayant la démangeaison d'entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de docteurs selon leurs propres désirs. » (II Tim, 4:3). Je ne peux m'empêcher de penser que ce temps ressemble étrangement au nôtre. Avides « d'entendre des choses agréables », nous courrons après les propos les plus lénifiants, les plus flateurs pour notre ego, après les clercs les plus doucereux, ceux-là même qui ne dérangeront personne, tant ils ne disent plus rien. A ces clercs et à ces docteurs au langage aussi insipide qu'incolore, saint Pierre adresse un mot cinglant: « Reniant le Maître qui les a rachetés, ils attireront sur eux une ruine soudaine . » (II Pierre, 2:1).

Nous ne pouvons plus nous satisfaire d'un christianisme au rabais, d'un ersatz de doctrine soucieuse avant tout de compromis, d'une religion où l'homme détrône Dieu pour se glorifier lui-même. Sans un retour à l'axe central de notre foi, aux 5 mots qui la caractérisent (à savoir: création, chute, incarnation, rédemption, résurrection) et à la prise de conscience que le Christ et Lui seul est Le chemin, LA vérité et LA vie, nous n'en sortirons pas. Oui, les loups sont dans la bergerie et celui qui les inspire leur fait précisément croire qu'il n'existe pas. Plus que jamais, notre Eglise est en proie à un Mal qui la ronge de l'intérieur, aux coups destructueurs d'un être dont nos pasteurs ne nous parlent jamais et que saint Paul appelle « le prince de ce monde ». De même qu'on ne peut soigner un cancer avec de l'aspirine ou une fracture du crâne avec du mercurochrome, nous ne guérirons pas les maux qui déforment la foi chrétienne sans prendre conscience des actions aussi sournoises qu'incessantes de celui contre lequel le Christ et les apôtres nous ont tant de fois mis en garde.

Le christianisme passera-t-il à la postérité? Nos enfants auront-ils demain la chance de connaître son vrai message? Sûrement pas si nous continuons à nous prosterner face à ce qui lui est contraire, à ne plus proposer qu'une mixture faite de syncrétisme, d'ouverture tous azimuts et de relativisme. Jamais personne, non, personne, ne mourra martyr au nom des mièvreries que nous entendons aujourd'hui.

Je vous avoue qu'en écrivant ces lignes, je me sens dans une peau bien étrange, dans une situation ô combien paradoxale qui veut qu'un simple laïc se voit obligé de supplier les prêtres et les évêques de son Eglise de revenir à l'essentiel, d'arrêter de chasser le surnaturel et de faire comme si rien ne nous attendait au-delà de cette vie. De grâce, messieurs les garants de la foi, montrez-nous une bonne fois pour toutes que l'hérésie d'Hyménée et Philète; deux faux prophètes « qui se sont détournés de la vérité en affirmant que la résurrection est déjà arrivée, renversant de ce fait la foi de quelques-uns » (II Tim, 2:18) et que saint Paul appelle « une gangrène », n'est pas la vôtre. Sortez de votre silence. Redites-nous avec force que nous sommes attendus au-delà de ce monde et que le Christ est mort sur la croix pour que nous puissions un jour dans les cieux accéder au Paradis. Ne prenez pas le risque d'entendre un jour cette terrible sentence: « Je connais tes oeuvres. Je sais que tu n'es ni chaud, ni froid. Ainsi, parce que tu es tiède, je te vomirai de ma bouche. » (Apoc, 3:16)

Jean-Pierre Snyers