On nous trompe sur l'essentiel.
Depuis une cinquantaine d'années, le discours chrétien a basculé.
Durant près de deux millénaires, on a cru que le sens de la vie sur
terre consistait à se préparer à entrer dans l'éternité. Tous
les Pères de l'Eglise, tous les saints et tous les écrivains
chrétiens insistaient sur cette réalité. Rien n'était plus
important pour eux que le salut éternel de leurs semblables.
Sur un signet distribué à la
fin d'une mission prêchée par les Pères rédemptoristes en 1947
dans un village du luxembourg belge, on lit: « J'ai compris les
vérités éternelles: j'ai un Dieu à servir, une âme à sauver, un
enfer à éviter ». Il y a 50 ans encore, le regard du chrétien
était dirigé vers l'au-delà. A aucun prix, il ne fallait prendre
le risque de se perdre. Fidèles à la Parole du Seigneur « Celui
qui croira et sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne croira pas
sera condamné » (Marc, 16, 16), nos prêtres avaient l'ardeur
missionnaire, la soif de convertir les âmes éloignées du vrai
Dieu.
Qu'en reste-t-il aujourd'hui?
Très rares sont les chrétiens qui pensent encore à leur salut
éternel. Pire: on leur a fait comprendre que là n'est pas la
question; que le royaume de Dieu est à construire sur cette terre et
qu'il convient de travailler à son avènement. Silence sur les
« fins dernières », motus et bouche cousue sur le
Paradis, l'enfer et le purgatoire! Plus un mot sur l'éternité qui
nous attend au-delà de cette vie!
Que s'est-il passé? L'Evangile
aurait-il changé? Point du tout! Il se fait simplement que nous ne
retenons plus de l'Ecriture que ce qui nous arrange. Bafouant la plus
élémentaire honnêteté intellectuelle, nous n'hésitons plus à
gommer, à occulter et à tordre le sens des versets qui nous
déplaisent. En somme, la conformité avec l'esprit du monde nous
apparaît comme un critère de vérité. Par définition, ce qui est
moderne est vrai. Tri sélectif oblige, la foi chrétienne est
réduite à ce que nous jugeons digne d'être accepté, jaugée à la
lumière de nos manques de foi. Il est à noter que ce « brigandage »
de la Parole de Dieu est toujours à sens unique. Personne ne songe à
mettre en doute le Sermon sur la montagne ou le récit de la femme
adultère. Par contre, lorsque le même Seigneur nous met en garde
contre le démon, contre le risque de la damnation éternelle et
contre le monde, étrangement, nous fermons les yeux.
Mystérieusement, son langage est jugé dépassé, « religieusement
incorrect », « bon à jeter aux oubliettes ».
Les conséquences de cet
aplatissement devant le monde sont désastreuses. Là où il y avait
la certitude, il y a le doute, là où il y avait la radicalité, il
y a la mièvrerie, là où il y avait l'espérance de l'éternité,
il n'y a plus que celle de l'ici-bas.
Ne tournons pas autour du pot:
le « christianisme » qu'on nous présente aujourd'hui n'a
plus grand chose à voir avec celui des apôtres. Il s'agit ni plus,
ni moins, d'un autre Christ qui est proposé dans la catéchèse
actuelle.
Il est vrai que saint Paul nous
avait prévenus: « Il arrivera un temps où les hommes ne
supporteront plus la saine doctrine; mais ayant la démangeaison
d'entendre des choses agréables, ils se donneront une foule de
docteurs selon leurs propres désirs. » (II Tim, 4:3). Je ne
peux m'empêcher de penser que ce temps ressemble étrangement au
nôtre. Avides « d'entendre des choses agréables », nous
courrons après les propos les plus lénifiants, les plus flateurs
pour notre ego, après les clercs les plus doucereux, ceux-là même
qui ne dérangeront personne, tant ils ne disent plus rien. A ces
clercs et à ces docteurs au langage aussi insipide qu'incolore,
saint Pierre adresse un mot cinglant: « Reniant le Maître qui
les a rachetés, ils attireront sur eux une ruine soudaine . »
(II Pierre, 2:1).
Nous ne pouvons plus nous
satisfaire d'un christianisme au rabais, d'un ersatz de doctrine
soucieuse avant tout de compromis, d'une religion où l'homme détrône
Dieu pour se glorifier lui-même. Sans un retour à l'axe central de
notre foi, aux 5 mots qui la caractérisent (à savoir: création,
chute, incarnation, rédemption, résurrection) et à la prise de
conscience que le Christ et Lui seul est Le chemin, LA vérité et LA
vie, nous n'en sortirons pas. Oui, les loups sont dans la bergerie et
celui qui les inspire leur fait précisément croire qu'il n'existe
pas. Plus que jamais, notre Eglise est en proie à un Mal qui la
ronge de l'intérieur, aux coups destructueurs d'un être dont nos
pasteurs ne nous parlent jamais et que saint Paul appelle « le
prince de ce monde ». De même qu'on ne peut soigner un cancer
avec de l'aspirine ou une fracture du crâne avec du mercurochrome,
nous ne guérirons pas les maux qui déforment la foi chrétienne
sans prendre conscience des actions aussi sournoises qu'incessantes
de celui contre lequel le Christ et les apôtres nous ont tant de
fois mis en garde.
Le christianisme passera-t-il à
la postérité? Nos enfants auront-ils demain la chance de connaître
son vrai message? Sûrement pas si nous continuons à nous prosterner
face à ce qui lui est contraire, à ne plus proposer qu'une mixture
faite de syncrétisme, d'ouverture tous azimuts et de relativisme.
Jamais personne, non, personne, ne mourra martyr au nom des
mièvreries que nous entendons aujourd'hui.
Je vous avoue qu'en écrivant
ces lignes, je me sens dans une peau bien étrange, dans une
situation ô combien paradoxale qui veut qu'un simple laïc se voit
obligé de supplier les prêtres et les évêques de son Eglise de
revenir à l'essentiel, d'arrêter de chasser le surnaturel et de
faire comme si rien ne nous attendait au-delà de cette vie. De
grâce, messieurs les garants de la foi, montrez-nous une bonne fois
pour toutes que l'hérésie d'Hyménée et Philète; deux faux
prophètes « qui se sont détournés de la vérité en
affirmant que la résurrection est déjà arrivée, renversant de ce
fait la foi de quelques-uns » (II Tim, 2:18) et que saint Paul
appelle « une gangrène », n'est pas la vôtre. Sortez de
votre silence. Redites-nous avec force que nous sommes attendus
au-delà de ce monde et que le Christ est mort sur la croix pour que
nous puissions un jour dans les cieux accéder au Paradis. Ne prenez
pas le risque d'entendre un jour cette terrible sentence: « Je
connais tes oeuvres. Je sais que tu n'es ni chaud, ni froid. Ainsi,
parce que tu es tiède, je te vomirai de ma bouche. » (Apoc,
3:16)
Jean-Pierre Snyers
Jean-Pierre Snyers